Monday, May 25, 2009

Haïti-République Dominicaine

Haïti-République Dominicaine

Haiti-République Dominicaine(l937-2007) Fondamentalement, rien de changé



Ma volonté est de travailler à une solution scientifique du problème haitien et non de la résoudre par des phrases( Jacques Roumain « Lettre à Léon Laleau » in Léon-François Hoffmann Jacques Roumain Oeuvres complètes)







Les beaux discours creux, les éloges des flagorneurs,les courbettes des mignons, les cérémonies et réjouissances publiques de circonstance, les liens fraternels, ne peuvent pas changer la dure réalité des faits. Ils tentent vainement de l'occulter, de l'escamoter Le sort des ouvriers haïtiens dans les bateys et les plantations en République Dominicaine

de l937 à 2007, fondamentalement ne s'est pas amélioré.

A similarité des situations, similarité des réponses .

Similarité des situations

Jacques Roumain, dont on galvaude le message, a publié, en l937, son article « La Tragédie Haitienne » dans la revue « Regards. » . Roumain et Pierre Saint-Dizier, gérant de la revue, sont arrêtés et inculpés d'outrage à un Chef d'état étranger, en avril l938. à la suite d'une plainte de la légation dominicaine à Paris. En décembre, après plusieurs ajournements, ils sont condamnés à l5 jours de prison avec sursis( suspension de l'exécution de la peine) et à 300 francs d'amende. Ils ne sont pas emprisonnés.

L'article de Roumain porte en exergue ce passage d'un article de Léon Laleau, alors ministre plénipotentiaire et commissaire général d'Haiti à l'Exposition de Pais, paru dans « Continent » ( novembre l937 ) :



La vie (en Haiti) esr simple, amusante, souriante. L'étranger y éprouve la sensation que c'est peut-être l'un des rares pays civilisés où les problèmes économiques et la lutte pour la vie n'ont pas cette acuité carnassière qui imprime à certaines parties du monde le redoutable aspect de la jungle, une nuit où les fauves ont faim.



Après avoir dénoncé le fait de « présenter comme un reportage véridique un conte à dormir debout, né d'une fantaisie délirante », Roumain décrit ainsi l'horrible massacre des travailleurs haïtiens en République Dominicaine ordonné par le dictateur Rafael Léonidas Trujillo y Molina :

Des milliers d'Haitiens,cultivateurs paisibles, vivent en territoire dominicain, le long de la frontière. Ils sont assaillis par des bandes, saoules de meurtres, conduites par des soldats. Ceux qui ont tenté de fuir sont traqués, cernés,arrêtés, conduits à l'abattoir pour plus de commodité, à l'intérieur de forteresses et de camps militaires , massacrés, et leurs cadavres jetés aux requins.

Les cases flambent. Dans les bois et les savanes, c'est une affreuse curée : les machettes achèvent sur les femmes, les enfants, les blessés, l'oeuvre des fusils et des armes automatiques



De l938 à 2007, il n'y a plus eu de tels massacres programmés et généralisés. Mais des assassinats sporadiques de nombreux Haïtiens dans les bateys, les plantations des militaires dominicains le long de la frontière ou à l'intérieur du pays, qui n'ont fait l'objet d'aucune enquête de la part des dirigeants dominicains, ainsi que le refoulement unilatéral de centaines d'Haitiens. Certains d'entre eux nés en R D ne bénéficient pas de la nationalité dominicaine.

Situation dans les bateys

Sucre Amer : Esclaves aujourd'hui dans les Caraïbes de Maurice Lemoine publié en l981, traduit en anglais sous le titre : Bitter Sugar Slaves Today in the Caribbean, l985, raconte avec photos à l'appui le calvaire des travailleurs haïtiens recrutés en Hait, envoyés dans les bateys dominicains où les attend un sort semblable à l'esclavage d'antan, sauf que les chaînes physiques n'existent plus et que des gages dérisoires ont tremplacé la main-d'oeuvre servile.



Similarité des réponses

Mais l'horrible méfait ne s'arrête pas là ; Il faut trivialiser, banaliser les tueries. Jacques Roumain poursuit :

Quand le gouvernement dominicain se décida à mettre fin au carnage, quatre à cinq mille paysans et chômeurs haitiens avaient péri. C'esr ce que, interrogé par les journalistes, le représentant diplomatique de Trujillo à Washington, l'honorable senior Pastoriza, a appelé un incident sans importance. (c'est nous qui soulignons)



En fait, on estime à plus de l0,000 le nombre des victimes haitiennes. En somme, un massacre sans importance, quel que soit le nombre des tués, qui ne sont d'ailleurs que des nègres. Quand, en Haiti, les derniers engagés, à l'expiration de leurs contrats de six mois, sont devenus des colons, quand a commencé l'importation massive des esclaves noirs que les esclavagistes ont déclaré être « nés pour l'esclavage », l'esclavage des Aficains noirs est devenu permanent. Plus aucun blanc n'a été esclave alors que le mot esclave vient du fait que « les premiers captifs slaves vendus appartenaient à la nation des Esclavons, peuple de l'est de l'Europe subjugués au Xe siècle par l'empereur Othon le Grand ». C'est pouquoi l'expression « esclaves noirs »forme « un assemblage de mots un peu paradoxal » (Historiographie d'Haiti, p 26) De même que Bellegarde dans L 'Histoire du Peuple Haitien p.22 nous apprend que : « Ils ( les boucaniers) eurent bientôt besoin de bras ; ils prirent à leur service des aventuriers ou des « sans-travail », qui s'engageaient par contrat à travailler pour une période de trois ans ou trente-six mois. Ce furent les engagés, de véritables esclaves blancs » Ainsi donc la permanence de l'esclavage des noirs et l'exclusion des blancs de la servitude ont donné lieu à ce que nous appelons « la racialisation de l'esclavage » Suivra plus tard le processus de la racialisation de la main-d'oeuvre au plus bas prix . Le principe de la main-d'oeuvre bon marché est préconisé par la globalisation comme l'avantage comparatif des pays Sud.

Roumain ne s'arrête pas en si bon chemin. Il fustige la complicité du silence de Vincent « compère en dictature de Trujillo » et dont le gouvernement est « le pourvoyeur de la tuerie d'octobre.... qui réserve à ses favoris le bénéfice d'un trafic qui n'est autre chose qu'une traite de nègres déguisée » De plus, Vincent par « sa polique néfaste est l'organisateur de la misère du peuple Nous savons bien que sa politique n'a fait qu'accentuer une crise économique initiée dès l9l5 par la pénétration économique capitaliste créant la spoliation des terres des paysanns acculés à abandonner leurs champs pour servir de main- d'oeuvre à bon marché pour les plantations de cannes à sucre à Cuba et en RD. La fermeture des ports de provinces, la lourde fiscalité sur les produits agricoles, les salaires dérisoires payés par les compagnies étrangères ont contribué à maintenir la saignée migratoire à destination de la RD

Examinons rapidement les actions gouvernementales en Haiti qui ont suivi la voie tracée par Vincent

En l938, Vincent a honteusement accepté les sept cent cinquante mille dollars américains offerts par Trujillo à titre de dédommagements pour le massacre., Cette somme n'a jamais été versée en totalité. Lescot, à sa prestation de serment comme président, clame que la RD est une alliée naturelle. Cela n'empêchera pas le criminel Trujillo de contribuer au renversement de Lescot. Fait plus grave pour les paysans, Lescot accorde à la Shada à bail et pour une durée de 50 ans, cent cinquante mille acres de terre et l'autorisation d'exproprier les paysans, de détruire leurs plantations de denrées d'exportation, d'arbres fruitiers et de vivres alimentaires. Le gouvernement des Duvalier devait faire encore plus de mal aux paysans. Les archives de la ..:namespace prefix = st1 ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:smarttags" />CIA révèlent « qu'en l966 le président dominicain versa sur le compte personnel de François « Papa Doc » la somme de 900,000 dollars, à raison de de 20 dollars par tête, pour un contrat consistant en l'envoi de 40,000 coupeurs de canne haitiens en Rèpublique dominicaine et assurant leur retour subséquent en Haiti » (Editorial, Melodie l03.3 FM, Port-a-Prince) « La révolution politique » du père provoque la migration massive des paysans ou le phénomène des boat people et le phénomène des bidonvilles où s'entassent des ouvriers et des paysans haitiens, devenus « des réfugiés » dans leur propre pays . Deux phénomènes que « la révolution économique » du fils porte a l'extrême par la destruction des cochons haïtiens, les factories d'asssemblage et la réduction des taxes à l'importation. Cette susbstantielle réduction du tarif douanier continue avec les gouvernements postérieurs, de 30% à 3% Une politique fiscale qui a grandement contribué à la sérieuse diminution des produits tels que le café, le cacao le riz, le maïs, le sucre et autres produits vivriers et denrées d'exportation en faveur de l'importation des produits étrangers particulièrement américains.

L'introduction des zones franches dans la fertile plaine de Maribaroux exproprie les paysans au profit des factories des corporations américano-domicaines.La privatisation des entreprises publiques a jeté sur le pavé des centaines d'ouvriers et prive l'état de fonds indispensables pour des programme d'éducation, de santé, de développement économique et la rénovation de l'agriculture. Seule demeure l'option de la charité des pays amis.



En conclusion, nous mentionnons avec fierté deux extraordinaires défenseurs, en l937 et en 2007, des droits humains des ouvriers et travailleurs haitiens en République Dominicaine : Jacques Roumain et Sonia Pierre

Sa santé ébranlée après quatre incarcérations dans des cachots insalubres, deux sous l'occupation et deux sous Vincent dont il avait fait la campagne électorale et prédit la dictature ainsi que la probabilité d'une nouvelle occupation dans les quarante ans, Jacques Roumain , part pour l'exil en août l936. Il se rend a Bruxelles, puis à Paris. C'est dans cette dernière ville qu'il apprend le massacre des Haïtiens en RP et qu'il écrit son article « La Tragédie Haitienne » qui lui vaut, comme décrit plus haut, une condamnation à une amende de 300 francs d'un tribunal parisien. Il avait montré la culpabilité de Trujillo et de Vincent. Celui-ci avait gardé le silence et laissé le soin de la sale besogne à celui-là qui avait porté plainte.

En 2007, à l'exemple de Roumain, une Dominicaine, d'origine haitienne , vivant en RD, brave les autorités de ce pays et défend les droits des Haitiens que l'on tue dans les bateys et plantations qui ont des moulins : à broyer de la canne

et le coupeur de canne avec

à broyer les produits du labeur

et les producteurs avec

à broyer la force de travail de l'homme

et l'homme avec ( Paul Laraque in « Don Quichotte »)



Malgré les intimidations et menaces de toutes sortes, dont la perte de nationalité par la Chancellerie dominicaine, elle ne démord pas. Elle s'appelle Sonia Pierre. Elle est dans la réalité ce qu'est Annaïse, personnage fictif de Roumain dans Gouverneurs de la Rosée. Comme Annaïse, la veuve de Manuel, Sonia « porte demain ». Mais qui fait le rapprochement de ces deux héroïnes, l'une réelle, l'autre fictive, lorsqu'on commémore en grande pompe le centième anniversaire de naissance de Jacques Roumain à Santo Domingo. On doit dit-on, réparer l'action injuste de Trujillo tout en ignorant que Roumain défendait le sort inhumain des paysans agricoles en RD non pas sa propre personne. Or, Jacques Roumain est la carnation ou la réincarnation d'une « idée-force » contre l'occupation, le colonialisme, le néo-colonialisme, la dictature l'impérialisme.Cette même idée –force qui, de l492 à nos jours, traverse l'histoire de notre pays. Comme nous l'avons dit ailleurs ,de l492 à l920, elle adopte la lutte armée comme stratégie. Elle est tout à tour incarnée par Caonabo, cacique Henri, Boukman, les marrons, Toussaint, Dessalines et les autres héros de l'indépendance, Acaau, Charlemagne Péralte et Benoît Batraville. A partir de l929, cette idée-force incarnée par Roumain et le mouvement patriotique adopte une nouvelle tactique - la grève et les manifestations de rue – utilisée avec succès contre l'occupation et des dictatures .La cause que défendait Roumain en l937 et que défend aujourd'hui Sonia Pierre demeure néanmoins « un incident sans importance »

Il faut, à l'occasion du centième anniversaire de naissance de Roumain, que les forces saines d'Haiti et de la diaspora se solidarisent avec Sonia Pierre.et mettent également sur pied un programme structuré pour la libération du pays sans retomber dans l'anarchie.

Au fond, il est évident que la misère et l'oppression des masses en Haiti les contraignent à s'enfuir dans l'espoir d'un sort meilleur. C'est donc en Haiti qu'il faut mettre fin à leur misère et à leur oppression.



26 Juillet 2007 Franck Laraque

Professeur émérite,City College, NY

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